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Guillaume le Maréchal



Récit d'une vision des mutations féodales, aujourd'hui discutée

En Catalogne, vers l'an 1000, les affaires criminelles se multiplient. Les enjeux de ces luttes sont variés, parmi lesquels la valorisation des terrains, la lutte pour la possession des châteaux.
Les premières victimes de ce nouveau climat sont les femmes et les enfants même si la protection des lignages se renforce.
La simonie (trafic des objets religieux) se développe dans le même temps au sein de l'Eglise de Catalogne comme les pratiques violentes au sein du haut clergé.
Le pouvoir politique ne freine pas la violence car la mort du comte Raimond Borrell, en 1017, a créé un vide politique. À Barcelone, les puissants sont incapables de faire face.
Les premières guerres privées se livrent sur les zones frontalières. Les forteresses et les terres et revenus qui en dépendent passent entre les mains de nouveaux châtelains qui osent même les inféoder.
Dans le même temps, la justice devient vénale ; la pratique de l'ordalie (le jugement de Dieu) se répand comme celle du duel judiciaire. La justice s'exerce même de plus en plus au niveau de la seigneurie tandis que la haute justice est de plus en plus féodale.
Les liens entre les puissants sont scellés par des documents appelés "convenentiae" : il s'agit d'engagements réciproques négociés librement lesquels peuvent porter sur le règlement de problèmes successoraux, le partage de revenus, les promesses de mariage...
Un nouveau type de guerrier naît à cette époque appelé fideles ou homines, nourri et équipé par le maître. Les châteaux sont confiés à des gardiens appelés castlans : ils dirigent une troupe d'hommes à cheval. L'ost ou obligation féodale de combattre pour son seigneur se généralise.
Les violences se déchaînent avec beaucoup de brutalité.
La terre change de mains tandis que la frontière qui sépare le monde chrétien du monde musulman se stabilise à cette époque ; les alleutiers disparaissent au profit d'une concentration de la terre en faveur de ceux qui ont la puissance : "il suffit au châtelain (ou à l'abbé ou à l'évêque) d'inviter le propriétaire de l'alleu convoité à prouver lui-même son droit en plongeant par exemple son bras dans l'eau bouillante". Les alleutiers deviennent souvent de simples tenanciers qui payent en outre des taxes de plus en plus lourdes.
La seigneurie banale s'affirme comme le modèle avec son droit de commander les résidents de la châtellenie, de lever l'ost, de réclamer des redevances et des services. Même les terres en commun sont réquisitionnées par les seigneurs.
Parmi les devoirs des vassaux, citons le devoir d'hospitalité (service d'albergue), une redevance en nature (en l'occurrence des vivres), des devoirs militaires (transports du ravitaillement, service de guet, cultures pour le compte du château), corvée et travaux de labour. La justice seigneuriale est aussi source de revenus (cautions, amendes et confiscations des biens)...
Des biens sont extorqués aux paysans par la coercition selon le bon vouloir du seigneur : droits sur les mariages (par exemple le pouvoir de choisir l'époux ou l'épouse) ; part dans les successions ; droit sur les biens trouvés sur la seigneurie...
La mutation féodale prend tout son sens entre 1041 et 1059 lorsque le comté de Barcelone est en proie à des luttes exacerbées. Pendant toute la période s'y développe une révolte qui, sous la direction d'un puissant magnat, Mir Géribert, soulève une grande partie de l'aristocratie contre le comte Raimond Béranger Ier et met en jeu jusqu'au principe même de l'autorité publique.

D'après Pierre Bonnassie, La Catalogne au tournant de l'an mil, Albin Michel

 


L'antithèse (extrait de la thèse de Dominique Barthélemy, La société dans le comté de Vendôme, Fayard)

Ce chapitre a regroupé les données antérieures à 1060 et les arguments qui nous font rejeter au Vendômois et en pays de Loire, après mûre réflexion, le modèle de la «mutation de l'an mil». En effet, ceux des historiens qui lui font allégeance ne voient plus, dès lors, dans toute la documentation du XIe siècle, que des signes de crise: une justice dégradée, une chevalerie déchaînée, une paysannerie à la dérive. «L'ordre intime et profond» du monde féodal, que Michelet appelait à déchiffrer, ils le prennent pour une série d'accidents. Une fois qu'on s'est émancipé, au contraire, on a l'oeil et la plume disponibles pour d'autres perspectives, d'autres intrigues.
On peut suivre, là où c'est possible, les suggestions de l'anthropologie.
Et si l'on nous demande, pourtant, où nous mettons les origines de la société féodale, nous répondrons: peu importe, c'est hors de notre vue mais à tout prendre, le concept d'une société carolingienne déjà féodale n'est pas si mauvais. L'admirable livre de Marc Bloch, en 1939-1940, fait un peu l'impasse sur la question classique du «principe vassalique» minant l'empire carolingien, et il a le tort de privilégier la genèse cataclysmique avec les invasions norrrandes, à la fin du IXe siècle. Pour le «mutationnisme», ce sont les troubles liés à la multiplication des châteaux, un siècle plus tard.
Mais l'une et l'autre de ces crises ne sont-elles pas exagérées par les moines?
La construction des châteaux périphériques, une catastrophe? Non, pas plus que les raids scandinaves ; comme eux, cependant, elle occasionne sûrement une certaine montée des tensions sociales, à laquelle il n'est pas interdit, pour l'an mil, de relier indirectement le nouvel essor des moines noirs, par lesquels nous vient la révélation féodale... De tout cela, on discutera encore, dans les prochaines années !

Fresque de Saint-Jacques-des-Guérets, XIIIe siècle (départ à la croisade)


La naissance de la chevalerie
Dans la société provençale autour de l’an mil, ceux qui possèdent les terres sont appelés homines et boni homines quand ils font partie d’une cour de justice. Les textes permettent de comprendre que ces familles -les plus importantes de Provence- obtiennent la noblesse. Mais d’autres personnes se joignent à ce groupe et prennent le titre de chevalier ou, plus exactement, caballarii ou milites. “Le premier texte qui les mentionne est daté de 1029 : l’archevêque d’Arles, Pons donne à sa cathédrale le quart de la villa de Marignane et il précise qu’il excepte de cette donation les manses des chevaliers, au nombre de sept, qu’il désigne nommément”. Le chevalier doit acheter un cheval, un haubert et prêter l’aide. “Le sire lui confiera la garde de son défend celle de de son château. Le chevalier s’associera à lui pour édifier un nouveau clos de vigne. Il se tiendra à ses côtés pour le conseiller (...)”. Les combattants à cheval, parfois chasés par le maître, sont soumis à lui.
Au milieu du siècle, le terme de miles supplante celui de caballarius. Le concile de Saint-Gilles distingue les milites majores et milites minores.
D’après J.P. Poly, la Provence et la société féodale 879-1166


Définition de la chevalerie d’après J.M. Lemarignier, La France médiévale, institutions et société
Ils appartiennent au monde des seigneurs mais surtout “de ceux qui combattent à cheval, qui sont intégrés dans les liens féodo-vassaliques ; le monde des chefs, de ceux qui encadrent la paysannerie”. Les origines de la chevalerie sont situées à des moments différents selon les historiens : autour de l’an mil ou dans le monde carolingien. L’Eglise a généré la chevalerie en détournant les guerres privées vers des objectifs mystiques.
La cérémonie du chevalier est l’adoubement. “L’adoubement consiste en la remise des armes effectuée liturgiquement : l’épée du futur chevalier est déposée sur l’autel ; elle sera bénite avant de lui être remise et elle sera remise autant que possible un jour saint (Pâques, Pentecôte) ; la cérémonie sera présidée par l’évêque qui, en principe, aura lui-même béni l’épée”. Avant l’adoubement, le futur chevalier est encore un enfant.
Le chevalier porte l’écu, le bouclier, la lance, l’épée et ils combattent à cheval ; il est jugé par ses pairs ; exempté d’impôts de nature publique.


Origines carolingiennes de la chevalerie d’après Pierre Riché, L’empire carolingien
Un noble se livre à la guerre avec la convocation à l’ost. “Charles écrit à un de ses vassaux : Sache que nous avons convoqué notre plaid général cette année en Saxe orientale, sur le fleuve de Bode, au lieu de Srassfurt. Nous t’enjoignons de t’y rendre le 15 des calendes de juillet (17 juin), avec tous tes hommes, bien armés et équipés avec armes et bagages et tout le fourniment de guerre, en vivres et vêtements. Que chaque cavalier ait un bouclier, une lance, une épée longue, une épée courte, un arc et un carquois garni de flèches. Qu’il y ait dans vos chariots des outils de tout genre et aussi des vivres pour trois mois à partir de ce lieu de rassemblement...”.
Le pillage chez l’ennemi, le saccage des soldats et officiers est récurrent. “Ecoutons Ernold le Noir raconter l’expédition de Bretagne : “Tout ainsi qu’en automne, par escadrons serrés, les grives et d’autres oiseaux volent à travers les vignobles et pillent les grappes...ainsi les Francs...survenaient et dépouillaient la province de ses trésors (...). On recherche les vivres que recèlent les bois et marais et qui ont été dissimulés dans des fosses. On emmène hommes, moutons et boeufs. Le franc porte partout ses ravages. Les églises, comme l’avait demandé l’empereur sont respectées, mais tout le reste est livré aux flammes”.

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