Guillaume le Maréchal
Grande noise et grand bruit.
Tous tendaient à bien férir
Là vous eussiez pu entendre si grand éclat
de lances, de quoi les fragments
tombant à terre jusqu'à se joindre
empêchaient les chevaux de poindre.
La presse fut grande en la plaine.
Chaque conroi crie son enseigne...
Là vit-on prendre des chevaliers
au frein, d'autres venir à rescousse.
De toutes parts vit-on courir
chevaux, et suer d'angoisse,
Chacun s'applique autant qu'il peut
à bien faire, car en tel ouvrage
prouesse se montre et se découvre.
Vous auriez vu la terre trembler
quand le jeune roi dit : "ça suffit,
poignez, je n'attendrai plus."
Le roi poignit, mais le comte
se tint prudemment et ne vint point...
Ceux qui étaient auprès du roi
se mirent en mouvement avec tant d'outrance
qu'ils ne firent plus attention au roi.
Ils se poussaient si avant qu'ils mirent les autres en déroute.
Ce ne fut pas retraite mais déroute
quand ils les eurent acculés
parmi les vignes, parmi les fossés.
Ils allaient parmi les ceps
de vigne qui étaient épais,
et là tombaient souvent les chevaux.
Etaient défolés vitement
ceux qui tombaient et enlaidis...
Le comte Geoffroy avec sa bannière
poignait de si étrange manière
quand le roi vint, que furent éloignés
tous ceux qui auraient dû être avec lui.
Aussi, le roi, en survenant,
ne put en nul lieu atteindre
leur gent, car l'adversaire s'en allait
et était rudement poursuivi,
les uns tendant à bien faire,
les autres s'appliquant au gain.
Aussi le roi fut-il anxieux.
de se trouver ainsi tout seul
Il vit sur sa droite un bataillon
de leurs gens. Ils pouvaient être
quarante chevaliers, au moins
Tenant une lance en ses mains,
il leur courut sus,
et si durement les heurta
que se brisa en chemin sa lance
comme si elle fût de verre.

Et ceux-là qui étaient nombreux,
par le frein bientôt l'arrêtèrent.
Ils accouraient de toutes parts,
alors qu'à lui il était advenu
de n'avoir toute sa gent ensemble
personne que le Maréchal qui le suivait
de près, car il avait coutume
d'être près de lui dans le besoin...
Et Guillaume aussi, celui de Préaux,
qui ce jour-là avait été pris
et s'était séparé de son groupe,
revêtu sous sa cotte
d'un haubert très privément,
un chapeau de fer aussi sur la tête
sans plus ni moins.
Les autres tenaient entre leurs mains
le roi, chacun d'eux mettant sa force
à abatte son heaume.
Le Maréchal s'avança tant
qu'il se lança sur eux.
Il férit tant, avant, arrière,
leur démontra tant sa manière,
et tant poussa, et tant tira
qu'à force au roi arracha
la têtière de son cheval,
avec tout le frein et le tira.
Et Guillaume de Préaux prit
le cheval par l'encolure et mit
grand-peine à sortir de la mêlée,
car beaucoup lui allaient autour
et qui voulaient le retenir.
Ils se peinaient beaucoup de férir,
Guillaume de Préaux souvent.
Le roi le couvrit sagement
de son écu, afin qu'ils ne l'atteignent
ni ne lui fassent mal.
Mais les autres se démenèrent
tant qu'ils arrachèrent au roi
son heaume de sa tête
ce qui lui pesa fort, et le blessa.
La mêlée dura longtemps,
et la faisait très durement
le Maréchal, qui harcelait,
et s'y employait à grands coups...
Tandis que le roi s'en allait ainsi
Messire Herloin de Vancy
- il était sénéchal du comte de Flandre -
avait bien trente chevaux
hors de la presse.
Un de ses chevaliers s'élança
et vint parler au seigneur Herloin.
"Nom de Dieu, fait-il, bon doux Sire,
voyez là le roi près d'être pris.
Prenez-le. Vous en tirerez le prix.
Il a déjà perdu son heaume
et s'en tient fort éperdu".
Quand messire Herloin l'entendit
il s'en réjouit très durement
et dit : "Il est, je crois, à nous."
Tous férirent des éperons
à grande allure, après le roi.
Le Maréchal n'attendit pas
mais chargea à la lance vers eux.
Il les heurta si durement
que sa lance se brisa toute.
...jusqu'au jarret de son cheval.
Mais tout fut redressé sans faille.
Sur lui, comme en une bataille,
ils se jettent à l'assaut, et il se défend.
Tout ce qu'il atteint, il le fend,
découpe des écus, fausse les heaumes.
Tant fit le Maréchal Guillaume
que nul de ceux qui étaient là
ne sut ce que le roi était devenu.
Plus tard, le roi dit,
et tous ceux qui l'avaient vu,
Et tous ceux qui en entendirent parler,
que jamais coup ne fut vu
ni su d'un chevalier seul,
plus beau que celui du Maréchal ce jour-là.
Les meilleurs l'en louèrent beaucoup....