Stéphane Sirot n’a pas entrepris réellement une biographie de Maurice Thorez. Son angle de travail est la représentation du dirigeant communiste dans différentes sources dont son livre “Fils du peuple”, dans le regard des siens, des anciens communistes, des autres partis politiques, des biographes : de Philippe Robrieux à Claude Pennetier, dans la mémoire communiste. La seconde partie aborde plus classiquement des grands thèmes : Thorez et la mine, la grève ; Thorez, le parlementaire et le dirigeant.
Cela donne un ouvrage documenté et analytique mais où on ne sait jamais si l’auteur est susceptible de trancher les polémiques puisqu’il se contente de recenser les conclusions des autres.

Thorez est né le
28 avril 1900 à Noyelles-Godault, dans le Pas-de-Calais, au milieu des Corons qui appartiennent à la compagnie des mines de Dourges. Mais il est fils naturel d’un épicier, chose qu’il cachera dans ses mémoires.
Fils du peuple est né de la volonté de l’
Internationale communiste. Jean Fréville, critique littéraire à l’Humanité, en fut le rédacteur. Un indice oriente l’initié. Une description curieuse du paysage de l’adolescence de Thorez se révèle un procédé pour signer le livre ; il y est écrit : “...ferailles rongées et verdies, informes lacis, larges entonnoirs aux escarpements crayeux, ravinés, immenses, tranchées creusées en labyrinthes, infranchissables vallonnements ravagés, embroussaillés”. En prenant la première lettre de chaque mot, on peut lire : “Fréville a écrit ce livre”.
Fils du peuple entend démontrer que le
parti communiste a à sa tête un dirigeant capable de le mener à bon port dans un contexte où les décisions viennent de plus en plus du haut. Il s’agit d’un véritable manuel du dirigeant communiste. Les origines familiales de Thorez, fils naturel d’un boutiquier, sont tues, comme son premier mariage et son soutien à Boris Souvarine, exclu du parti en juillet 1924. A chaque réédition, des militants en disgrâce disparaissent du livre. Le passage le plus célèbre est celui qui ouvre le livre : “Fils et petit fils de mineurs, aussi loin que remontent mes souvenirs, je retrouve la rue du travailleur : beaucoup de peines et peu de joies”. Thorez doit constituer un modèle pour les prolétaires : sa vie doit à la fois être simple pour permettre l’identification et sans reproche. Thorez est présenté comme un autodidacte : il apprend par exemple l’allemand pour lire Marx et Engels dans le texte.
Le regard de l’épouse de Thorez,
Jeannette Vermeersch tend aussi à auréoler le personnage et à lui donner une stature de chef charismatique. Paul porte un regard plus ambivalent sur son père, un mélange d’admiration et de “complexe oedipien” ; il évoque par exemple la passion de Thorez pour Staline: “Mon père avait un portrait de lui dans son bureau. Je ne saurais dire à quelle date il disparut, mais ce fut assez tard”. En même temps, au crépuscule de sa vie, les remords rongent Thorez d’après son fils : “Plus le temps passe, plus je mesure le mal qui a été fait”.

Le
culte de la personnalité se développe autour de la personne du secrétaire général comme en témoigne la pratique des cadeaux d’anniversaire, qui deviendra ensuite un véritable rituel. Après sa mort, les communistes français et même du monde entier sanctuarisent le secrétaire général : dès le 16 juillet 1964, une ville ukrainienne porte son nom. 21 communes de la ceinture rouge l’utilisent dans la toponymie. Au moment où le parti communiste reconnait son retard dans l’analyse du stalinisme, le nom de Thorez est beaucoup moins utilisé. Ainsi l’institut Maurice Thorez devient Institut de Recherche Marxiste. Il est même jugé en partie responsable de ce retard comme en témoigne son refus de considérer et d’intégrer les nouvelles pratiques de la période Khrouchtchev en France et de révéler le rapport du PCUS avec après quelques mois de tergiversations.

Fried, représentant de l’IC pour Moscou, aiguillonne Thorez dans ses décisions et profite de ses faiblesses de caractère.
Au sujet du
Front populaire c’est-à-dire de la rupture avec la stratégie classe contre classe, l’historiographie communiste prétend que Thorez a initié ce virage, interprétation nuancée aujourd’hui. Pennetier écrit par exemple dans le Maitron : “Après avoir freiné le tournant vers une politique de Front unique au début de l’année 1934, Thorez, encouragé par Fried et dans le cadre de la nouvelle politique internationale de l’Etat soviétique, fit alors preuve d’esprit d’initiative et devança de quelques mois la définition précise des mots d’ordre du Komintern”.

La période la plus sujette à polémiques est celle de la guerre lorsque Thorez part en URSS. Le PCF donne une version où le dirigeant communiste ne part qu’en 1943 alors que son exode date de 1941. De Gaulle autorise le retour du dirigeant en 1944 pour l’aider à rétablir l’ordre républicain. Le train de vie de la famille Thorez est aussi vilipendé par ses adversaires : le pavillon à jardin pourvu d’une salle de cinéma ; des gardes du corps qui mangent à part ; un standing qui heurte la sensibilité d’un parti dont le fond de commerce est la défense des opprimés.

La seconde partie du livre interprète et analyse les positions de Thorez sur certains sujets. L’auteur trouve davantage matière à personnaliser son ouvrage.
Le rapport de Thorez avec la
mine : Sirot est d’accord pour dire que Thorez est descendu même s’il n’est pas resté longtemps “gueule noire”. Très vite, il devient un militant syndical et politique. Pour lui le syndicalisme a un but immédiat : la satisfaction des revendications du prolétariat avant le “grand soir” : “Car, vous le savez très bien, vous ne grouperez pas les ouvriers en leur parlant seulement d’une révolution qu’ils n’entrevoient que vaguement dans leur esprit ; c’est surtout en leur parlant du morceau de pain assuré pour le lendemain qu’ils viennent aussi parce qu’ils savent qu’une blessure peut les toucher le lendemain et que le camarade du contentieux est chargé de les défendre.” Ce pragmatisme est présent dans le discours sur la grève qui doit cesser lorsque les revendications sont satisfaites. Des revendications à formuler dans le concret et la réalité locale. Cette théorie ne contredit pas l’idée révolutionnaire mais contribue au contraire à souder le monde ouvrier autour de ses organisations. Thorez le dit en 36 et le pense en 47 depuis Moscou, avec la bénédiction intellectuelle de Staline avec lequel il converse en cet instant.

Secrétaire du parti entre 1936 et 1964, il entretient des liens très tenus avec Fried. Sa première femme ira dans les bras du dirigeant de l’IC. Au bureau politique, ses prises de parole sont interprétées comme étant celles de Moscou. Ministre à la Libération, Thorez est un ardent militant de la bataille du charbon ; il élabore un statut des fonctionnaires longtemps remanié par un gouvernement réticent ; un statut à double tranchants à l’usage : il protège de l’arbitraire mais fige également les classifications catégorielles des corps et des grades. Député à partir de 1932 d’Ivry, il est un piètre orateur d’assemblée. Il prend position dans les années 30 contre la répression en Indochine, contre l’attentisme en Espagne ou pour le droit du peuple alsacien à disposer de lui-même. Thorez est aussi un idéologue peu inspiré qui défend en pleine croissance des Trente glorieuses l’idée saugrenue d’une paupérisation absolue des Français. L’interview au Times dans laquelle il défend l’idée d’un communisme à la française est instrumentalisée alors que Sirot démontre qu’il s’agit d’une parenthèse opportuniste contredite par la pratique.

De ce portrait en forme de Janus rouge, que reste-t-il ? L’image d’un dirigeant surestimé par ses troupes et trop pourfendu par ses ennemis. En somme, rien de fracassant sorti des archives de Moscou et peu de nouveautés mais un texte sérieux aidé par une approche intéressante.

Stéphane Sirot, Maurice Thorez, Presses de Sciences Po.

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