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Batista est le dictateur de Cuba à partir de mars 1952. Il prend le pouvoir par la force quand il se rend compte de ses maigres chances de l'emporter par la voie légale. Washington reconnaît très vite le nouveau pouvoir. L'île, indépendante depuis 1902 de l'Espagne, ne s'est pas encore démocratisée et n'est pas prêt de l'être. Elle est restée sous l'influence de son puissant voisin, les États-Unis. La situation économique est difficile et la corruption politique est endémique. Castro, comme d'autres étudiants, n'entrent à l'université qu'armé. José Marti, le héros de l'indépendance, doit se retourner dans sa tombe.

L'île est la tranquille destination des riches américains. Batista renforce son caractère d'arrière-cour de l'Amérique. Plus de 10 000 prostituées ventent leurs charmes à La Havane en 1958. Les propriétaires de casinos investissent, de l'argent sale est blanchi. Jorge Valls, étudiant à l'époque, écrivain aujourd'hui, décrit cette atmosphère : "Pendant que nous nous soulevions, La Havane vivait dans une véritable frénésie de vie nocturne et de loisirs. Les cabarets comptaient parmi les meilleurs du monde. On dépensait des fortunes à la roulette. Les voitures de luxe parcouraient la capitale tandis qu'à la campagne régnait une horrible misère".

Le "Che"
Ernesto Guevara, dit "Che", compagnon de Castro, médecin, asthmatique. Il devint ministre à Cuba puis poursuivit la révolution en Bolivie où il trouva la mort.

Le dictateur est à l'image de son pays : il montre de plus en plus un goût prononcé pour le luxe vestimentaire ; son porte-monnaie est abondamment percé par sa jeune épouse, il collectionne les objets ayant appartenu à Napoléon. Il joue et met sur écoute ses adversaires politiques. Au lendemain de son coup d'État, Batista suspend le parlement et reporte les élections.

Dans l'influence du défunt Eduardo Chibas, l'opposition ne sommeille pas longtemps. Fidel Castro en est. Elle prend forme dans les universités et se structure enfin autour de Castro en 1952. Le 26 juillet 1953, Fidel et ses compagnons mènent l'attaque de la caserne Moncada à Santiago, dans la province d'Oriente. L'opération est un grave échec. Castro se sert du procès pour faire la publicité de ses idées. 70 assaillants sur 160 sont faits prisonniers mais également torturés puis tués. Martha Frayde, médecin et compagnon de lutte avant d'entrer en dissidence témoigne : "C'est à partir du coup d'Etat du 10 mars 1952 que Fidel, avec une grande habilité, a compris qu'il allait devenir un dirigeant, en sacrifiant tous ceux qu'il aurait à sacrifier. L'attaque de la caserne Moncada était une action suicidaire du point de vue tactique. Fidel est conscient que cet acte va lui apporter la notoriété, même au péril de sa vie, et que cela va lui permettre de diriger la révolution."

Batista riposte en organisant des élections présidentielles pour le 1er novembre 1954. Le dictateur est élu. Le 15 mai 1954 Castro sort de prison. L'agitation politique reprend et se durcit. Castro opère depuis le Mexique. Le 2 décembre 1956, Castro et 81 compagnons débarquent à Oriente, à bord du yacht Gramma. Un groupe de jeunes révolutionnaires attaque le palais présidentiel le 13 mars 1957 dans le but de tuer Batista : nouvel échec et nouvelle répression sanglante. L'opinion change. Pour Martha Frayde : "le peuple n'était pas en faveur de la violence. Mais il n'était pas non plus en faveur de Batista".

Les Américains font comme si de rien n'était : "Les casinos se multiplient, les truands prospèrent, derrière Meyer Lansky, le plus grand d'entre eux. Le night-club Tropicana ne désemplit pas. Les prostituées de la rue des Virtudes sont en embuscade pour capter le chaland. Le Hilton monte ses étages. Le Bodeguita del medio, charmant bistrot de la vieille ville, où Hemingway vient boire ses mojitos, devient l'endroit où les stars de Hollywood aiment à être vues".

barbudos

Paris-Match, avril 1958

Les barbudos de Castro se battent du côté de Santiago, dans la sierra Maestra. Le 23 février 1958, le coureur automobile argentin Fangio est enlevé durant 24 heures. Les rebelles sont maintenant connus du monde entier. 1958 : échec de la grève générale qui fait 200 morts ; Fidel et Raul, son frère, descendent vers Santiago à l'approche de la fin de l'année. Le "Che" opère autour de Santa Clara qui est prise le jour de noël. Dans le nuit du 31, Batista s'enfuit pour Saint-Domingue, les poches pleines d'or. Les truands américains quittent l'île. Le 8 janvier 1959, Fidel entre dans La Havane.

Une série de mesures est prise dans le foulée : gratuité des loyers, réforme agraire puis, plus tard, tribunaux révolutionnaires et peine de mort. Le désenchantement vient très vite pour Jorge Valls : "La figure de Fidel devient tout de suite pour moi celle d'un caudillo barbare. Il y a trop de fanatisme. peu de caudillos ont été aussi vénérés dans l'histoire. ma rupture se produit dès les premiers instants. Je ne supporte pas les foules qui applaudissent frénétiquement Fidel Castro ni celui-ci en train de savourer son triomphe devant cette même foule."

Le régime devient marxiste au printemps 1961. De la pureté révolutionnaire des premiers instants à la sclérose actuelle, l'histoire contemporaine de l'île demeure chaotique jusqu'à aujourd'hui.

D'après Jean-Pierre Clerc, "Une démocratie deux fois assassinée", dans Autrement, 31, 1994