HISTOIRE GEOGRAPHIE SUR LE WEB
Vichy, l'antisemitisme

Dès octobre 1940, le statut des juifs créé des conditions discriminatoires pour les personnes de confession israélite. Ce statut est modifié le 2 juin 1941. Exclusion de la fonction publique et de fonctions électives, accès limité par numerus clausus à l'université ainsi qu'à certaines professions libérales en forment le contenu. Plus tard, le gouvernement fonde un Commissariat général aux questions juives.
Identité Carte d'identité 1940


Sur les cartes d'identité apparaissent des notions liées à une pseudo science de la morphologie du visage (voir dans la partie en haut à droite).
carte identité Evasion


Au moment de la débâcle, des soldats français furent faits prisonniers et travaillèrent dans les zones spéciales du Nord de la France : rattachée au commandement allemand de Bruxelles ; zone interdite ; zone annexée ou réservée. Pour s'évader d'une fabrique de savon où il travaillait comme prisonnier de guerre, mon grand-père a utilisé une fausse carte d'identité délivrée par les premiers réseaux de Résistance.

Dès juillet 1940, en réalité, les juifs sont exclus de la fonction publique. Les enseignants juifs doivent abandonner leurs classes à la rentrée. La première ordonnance allemande "relative aux mesures contre les Juifs" est prise le 27 septembre 1940 et concerne la zone occupée. Les Juifs qui ont fui la zone nord ne peuvent y retourner et les familles qui y demeurent doivent se faire recenser. Un cachet est apposé sur la carte d'identité. "L'article 4 comporte un aspect économique : tout commerce dont le propriétaire est juif doit être désigné comme "entreprise juive" par une affiche spéciale rédigée en langue allemande et française". Adam Rayski, futur chef des MOI dans la région parisienne commente dans les termes suivants ces événements : "ça sentait le Moyen Age".
Toujours durant l'été, les Juifs sont l'objet d'une odieuse
campagne de propagande dans la presse. La population reste sans voix, trop occupée à subvenir à ses besoins. Parmi les réactions les plus détestables, celle de la famille Lissac, qui, dès le 2 août 1940, fait passer une annonce dans la presse pour rétablir une "vérité" : "Lissac ne saurait sans malveillance être confondu avec Isaac, nom israélite par excellence".

Le 3 octobre 1940, le Conseil des ministres de Vichy décrète le premier statut des Juifs. Suit une série de mesures restructives, dont une liste de fonctions et mandats interdits aux Juifs : haute administration, grands corps de l'Etat, etc. Ils se voient également bannis de certaines professions comme le journalisme, la littérature, le cinéma, le théâtre, les arts, etc. S'ils peuvent continuer à exercer des professions libérales, c'est en tenant compte d'un numerus clausus fixé à 2%. Les Juifs titulaires de la carte de combattant de 1914-1918, ou cités lors de la campagne 1939-l940 ou encore décorés de la Légion d'honneur, pourront continuer à exercer leurs fonctions à condition toutefois qu'elles soient subalternes. Quelques intellectuels s'insurgent contre ces positions, comme Jean Guéhenno écrivant à la date du 19 octobre 1940 : "Le gouvernement de Vichy publie ce matin le statut des Juifs en France. Nous voilà antisémites et racistes [...]. Je me sens plein de honte."
Les commerçants doivent coller sur leurs vitrines les affiches jaunes "Entreprise juive" ; offusqués, certains ajoutent à côté qu'ils ont été des héros de guerre et sont de bons patriotes. Les entreprises sont aryanisées. Des administrateurs provisoires sont chargés de gérer entreprises et immeubles appartenant à des Juifs. Ces
mesures économiques conduisent à paupériser la communauté juive.
En juin 1941, l'accès aux
universités est également soumis à un numerus clausus.
En zone occupée, les vexations se multiplient : interdiction de posséder un poste de radio, d'avoir le téléphone, de sortir de chez soi entre 20 heures et 6 heures, l'obligation de faire ses courses entre 15 et 16 heures. Le décret de mai 1942 institue à partir du 7 juin le port de l'étoile jaune pour tout juif âgé de plus de 6 ans. Les Parisiens compatissent souvent. Les Juifs ne peuvent plus fréquenter les établissements de spectacle.
Nombreux sont ceux qui fuient vers la zone libre.
Une étape est franchie dans la descente aux enfers lors de la grande rafle parisienne du 16 juillet 1942 avec le concours de la police française : 12 884 personnes sont arrêtées (46 % des Juifs étrangers et apatrides), 3 031 hommes et surtout 5 802 femmes et 4 051 enfants. Les camps d'internement sont des endroits sordides où la mortalité est importante en l'absence d'hygiène.
La contribution de Vichy à la déportation n'est plus à démontrer, la rafle du Vel d'hiv en apporte la preuve.

D'après Dominique Veillon, Vivre et survivre en France, Payot


VICHY, UN PASSÉ QUI NE PASSE PAS

OBJECTIFS DU LIVRE
ANACHRONISMES
LES JUIFS ET VICHY
LA RÉPUBLIQUE MISE À MAL
ARCHIVES
COUPS MÉDIATIQUES
TOUVIER
MITTERRAND
JEAN MOULIN

OBJECTIFS

L’objectif de ce livre n’est pas de retracer l’histoire de Vichy mais de revenir sur la perception du régime par les Français aujourd’hui et sur les récentes polémiques liées à ce " passé qui ne passe pas " parmi les Français. A la lumière des acquis de la recherche, Eric Conan et Henry Rousso mettent à plat les principaux sujets qui -régulièrement- défrayent la chronique.

ANACHRONISME

Pour les deux auteurs, la principale erreur commise par ceux qui traitent le sujet et jugent le passé est l’anachronisme alors même que notre génération a eu la chance de “n’avoir jamais été confrontée à des engagements d’une telle radicalité”.
De surcroît, à la Libération, la phase d’épuration n’a pas été négligeable si bien qu’il est difficile de dire que le procès de Vichy n’a pas eu lieu : un procès qui s’est soldé par trois exécutions (Laval, Darnand, de Brinon) tandis que le dossier d’un Français sur cent a été ouvert. Il est vrai cependant qu’à la faveur d’amnisties, d’anciens responsables sous Vichy sont revenus sur le devant de la scène tel Maurice Papon.

LES JUIFS ET VICHY

Le livre insiste longuement sur l’antisémitisme et le sort des Juifs pendant la guerre. Il est rappelé que longtemps la Résistance a été plus célébrée que la Shoah : “jusqu’à la fin des années 60, le souvenir de la barbarie nazie s’incarnera au mont Valérien ou à Oradour, pas au Vel’ d’Hiv’ (qui est même détruit) ni à Izieu (un lieu que presque personne ne connaît). Il sera symbolisé par le camp de concentration de Buchenwald, et non par le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau”.
À l’école, l’utilisation de " Nuit et Brouillard " se révèle source de confusion dans la mesure ou la distinction camps de concentration et camps d’extermination n’existe pas ; Raul Hilberg a d’ailleurs évoqué le problème en écrivant que dans le film, les chambres à gaz " paraissent destinées aux prisonniers belges, français ou néerlandais ".
La rafle du Vel. d’Hiv. symbolise parfaitement la collaboration des autorités françaises à la déportation des juifs. Les 16 et 17 juillet 1942, 13 152 Juifs (3 118 hommes, 5 919 femmes et 4 115 enfants ; la plupart étrangers) sont arrêtés par la police française, en vertu des accords passés entre René Bousquet, secrétaire général à la Police du gouvernement de Vichy et Karl Oberg, chef des SS et de la police allemande en France occupée. Le 3 février 1993, le 16 juillet devient une journée nationale commémorative à la demande persistante de la communauté juive.

LA REPUBLIQUE MISE À MAL

Le gouvernement de Vichy est-il dans la continuité de la République ? Le vote du 10 juillet a présenté de graves irrégularités : menaces sur certains parlementaires et absence des députés qui étaient sur le Massilia. Sur 907 députés, seulement 670 étaient présents à Vichy. En revanche, beaucoup de fonctionnaires de l’Etat ont collaboré. Le gouvernement français de la Libération a donc tenu à abroger l’ordonnance du 9 août 1944 " relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire français ", manière de marquer une rupture avec la période précédente.

ARCHIVES

Pour Eric Conan et Henry Rousso, la prétendue rétention des archives sur Vichy n’est pas crédible. En réalité, la quantité d’archives est très conséquente et très souvent, elles ne sont pas encore exploitées. Le problème se situe davantage à ce niveau.
L’annonce de la découverte d’un fichier de recensement des Juifs camouflé s’est dégonflée lorsqu’il a été dit que le véritable fichier avait été détruit en 1948 et 1949 par une circulaire qui imposait aux préfets d’agir ainsi. " Les 15 et 16 novembre 1948, en présence des commissaires de police du quartier de Saint-Merri et de Charenton, 158 sacs, " d’un poids brut de 6 890 kilos et d’un poids net de 6 732 kilos ", furent ainsi pilonnés à Charenton. " Il faut voir là une conséquence de la recherche du sensationnel par les media qui pensaient avoir trouvé une exclusivité.

COUPS MEDIATIQUES

S’il est une recommandation du livre, elle est de se méfier des travaux réalisés par des historiens amateurs. Ainsi Kurt Schaechter, rescapé des arrestations opérées en décembre 42 dans le Tarn et Garonne, insiste trop sur la responsabilité de l’administration de Vichy tout en restant très (trop) indulgent à l’égard de Pétain dont la culpabilité personnelle est diluée. Les sources qu’il utilise sont mal interprétées : " par exemple, le fait que de nombreux étrangers soient encore présents en 1945 et en 1946 dans des camps du Sud-Ouest sous la dénomination de " juifs ", " d’apatrides " ou de " suspects" ne s’explique pas – comme il l’affirme et comme l’écriront certains journaux – par la volonté de De Gaulle de prolonger la politique d’exclusion de Vichy (!), mais par la pagaille administrative de la Libération (…) ".

TOUVIER

Le procès Touvier a été une occasion de mesurer l’ampleur des erreurs commises par ceux qui confondent le passé et le présent et sont trop pressés de juger. Avant lui, " Klaus Barbie, l’ancien chef de la section IV (Gestapo) du Sipo-Sd de Lyon, est extradé de Bolivie et inculpé en 1983. Jugé à Lyon, il est condamné à la perpétuité le 4 juillet 1987. René Bousquet est lui aussi inculpé en mars 1991, mais il est assassiné le 8 juin 1993 ". Il est responsable par son action en 1942 et 1943 de la déportation de 59 000 juifs de France, sur les 76 000 déportés.
Né en 1915, Paul Touvier est devenu, en janvier 1944, le chef régional du deuxième service de la Milice du Rhône, un poste important. A ce titre, les charges qui pèsent contre lui sont essentiellement les assassinats consécutifs à celui de Philippe Henriot, secrétaire d’Etat à l’information et à la propagande de Vichy, par la Résistance. Sept juifs ont été tués dans cette affaire, en représaille. Touvier échappe à la prison après la Libération ; il a été longtemps protégé par des hommes d’Eglise.
Le procès a été un moment éloquent, un dernier procès d’épuration disent les auteurs. Les témoins ont en effet été émouvants et justes dans leur description mais très hasardeux dans leurs démonstrations historiques, un thème classique de réflexion pour l’historien qui ne peut se limiter aux témoignages oraux et a posteriori des survivants : " on n’écrit pas l’histoire en ne se fiant qu’aux témoins ". L’ancien résistant Louis Goudard, chef du service de renseignements des FTP pour la région lyonnaise, épargné par Paul Touvier au soir du 28 juin 1944 parce que non-juif, raconte par exemple au sujet des tortures : " L’idée que l’on se fait d’une souffrance physique est souvent plus insupportable que la souffrance elle-même ".
Mais le plus grave dans cette affaire est ailleurs. La défense de Touvier le condamne : il prétend qu’il aurait été contraint par Werner Knab, chef du Sipo-SD de Lyon, à l’exécution mais qu’il serait parvenu à diminuer le nombre de victimes de cent à sept. Or nous savons aujourd’hui que la décision a été française. L’accusation au procès a cherché à démontrer le contraire : c’est-à-dire à prouver que Touvier avait été le bras armé des Allemands. Pourquoi ? Parce qu’en droit français, seul le crime contre l’humanité est imprescriptible. Et seul un crime téléguidé par un Etat qui tue les juifs en masse pouvait permettre de qualifier les événements de Rilleux de crime contre l’humanité selon la définition admise au procès de Nuremberg. L’avocat Arno Klarsfeld est l’unique à choisir le parti de la vérité : le crime de Touvier est un crime français mais c’est tout de même un crime contre l’humanité. C’est le droit français qui cloche (" Si le crime de droit commun ou le crime de guerre avaient été imprescriptibles eux aussi, la critique ou le doute n’auraient pas été de mise ")..
Pendant le procès, exemple de revirement, Louis Goudard, toujours lui, affirme sans preuve et parce qu’il y a été incité par un avocat hors audience, qu’il y a eu un contact téléphonique entre Karl Oberg, chef de la SS en France et Laval au sujet des représailles. " Au juge Getti, quatre ans plus tôt, il avait déclaré : " Pour moi, il n’est pas possible que les Allemands aient pu formuler une telle exigence ". Même genre de contradiction chez l’historien Jacques Delarue qui se déjuge en arguant d’une nouvelle pièce dont il avait pourtant connaissance dès le début.
Il est vrai de dire cependant que la Milice était devenue autonome et incontrôlable à la fin de la guerre et que le crime de Rilleux lui est imputable tandis que même Laval s’insurge contre les procédés qu’elle utilise. Sur le sujet, Darnand répond à Pétain en août 1944 : " Pendant quatre ans, j’ai reçu vos compliments et vos félicitations. Vous m’avez encouragé. Et aujourd’hui, parce que les Américains sont aux portes de Paris, vous commencez à me dire que je vais être la tâche de l’histoire de France ? On aurait pu s’y prendre plus tôt. "

C’est pourquoi le crime de Rilleux ou la rafle du vel’ d’hiv. se distinguent de celui d’Izieux qui est lui exécuté par les Allemands : " A Izieu, dans une maison perdue au fin fond de la montagne, le SS Klaus Barbie est venu, le 6 avril 1944, pendant les combats contre la Résistance, chercher des enfants juifs cachés : 44 enfants et 7 animateurs furent déportés, la plupart vers Auschwitz, dont un seul adulte a survécu ; un seul enfant a réussi à s’échapper ; et un autre fut relâché parce que non-juif ".

MITTERRAND

Le passé de François Mitterrand a ressurgi au crépuscule de sa vie, pour une large part à son initiative. Ce passé est évoqué longuement dans le livre. Les auteurs font comprendre que la catégorie de résistants tardifs à laquelle appartenait Mitterrand fut loin d’être négligeable en nombre. Ceux qui ont été Pétainistes et anti-allemands ont été nombreux ; avant de s’éloigner plus ou moins tardivement de Vichy. Dans le cas de Mitterrand, ce fut très tard puisqu’en 1943, donc après le retour de Laval en avril 1942.
Mitterrand a été prisonnier des Allemands au début de la guerre dans un Stalag. Ils étaient près de 1,5 million dans la même situation. Lorsqu’au printemps 1943, Mitterrand entre en contact avec Eugène Claudius-Petit, numéro deux du mouvement Franc-Tireur, il n’a pas encore les idées claires sur Vichy puisqu’il se lance dans une " défense et illustration des réformes politiques et sociales de Vichy ". S’il est difficile de juger Mitterrand comme certains l’ont fait, son rapport au passé peut être lui l’objet au moins de questions. Dans ses ouvrages, Mitterrand élude très longtemps le côté trouble de sa traversée des années noires : " rentré en France, je devins résistant, sans problème déchirant ". La francisque ne lui est décernée également que très tard, en 1943, sans doute à un moment où Mitterrand est à Alger. Pour se dédouaner, Mitterrand dit à la télévision qu’il a eu la francisque comme son ami résistant De Lattre de Tassigny, affirmation complètement fausse, de Lattre de Tassigny n’a jamais eu la francisque.


JEAN MOULIN

La dernière statue que certains ont cherchée à déboulonner est celle de Jean Moulin. Selon Thierry Wolton, Moulin a agi en sourdine en faveur de la cause communiste. Daniel Cordier, spécialiste de Moulin et ancien résistant, réfute la thèse en démontrant au contraire que Moulin est parvenu à limiter l’influence communiste dans la Résistante.
Et plus généralement sur la Résistance, il est rappelé qu’elle fut au début l’apanage de quelques individus et non d’organisations ce qui rendait bien sûr le choix plus difficile.

D'après
Eric Conan, Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard

 
Extrait au sujet de l'affaire Wolton

" En réalité, ces interventions trahissent un usage partisan de l’Histoire, au détriment de tout sens critique. Les intellectuels cités sont souvent eux-mêmes d’ex-staliniens (…), et leurs motivations, dans cette polémique, paraissent transparentes. Le communisme a été l’affaire de leur vie, tant et si bien qu’ils ont une tendance irrépressible à lire le passé à la lumière de cette matrice. Prétendre que Jean Moulin et le gaullisme de guerre furent des valets du stalinisme, en brandissant d’ailleurs le livre d’un ex-maoïste, permet de les ravaler tous deux au niveau de leur propre erreur de jeunesse, qui n’en finit pas de les torturer. Il y a des culpabilités prétentieuses : elles n’admettent pas que d’autres y échappent et elles cherchent à tout prix l’apaisement dans le partage de la faute. "
Le livre de Wolton commence d’ailleurs par cette phrase sibylline : " Avec le recul, on mesure mieux à quel point les Français qui ont choisi Moscou pour combattre Berlin ont commis au mieux une tragique erreur politique, au pis une trahison. " et les auteurs d’ajouter : " Devaient-ils alors choisir Berlin pour combattre Moscou ? ".