Le bombardement de Mers El-Kébir survient dans un contexte particulier : la France a perdu la guerre ; elle a signé l'armistice avec l'Allemagne nazie. Le prochain objectif d'Hitler est l'Angleterre dans la mesure où les ultimes tentatives de conciliation allemande avec les Anglais ont échoué. En se préparant à cet affrontement, le nouveau premier ministre anglais craint que l'armada français ne passe entre les mains d'Hitler en dépit des garanties françaises. La décision est prise de détruire une partie de la flotte française qui stationne en Algérie à Mers El-Kébir.

Le récit
d'après Jean-Pierre Azéma, 1940, l'année terrible, seuil

Le bombardement commence à 17h57. Mers El-Kébir se situe à 6 km d'Oran ; la flotte qui y stationne se compose de quatre cuirassés et d'un transporteur d'hydravions et de 6 contre-torpilleurs.
Les canons de 380 qui tirent sur les navires français depuis le Hood, un croiseur, font mouche. La Bretagne en particulier est touchée de plein fouet et coule en quelques minutes. Le carnage dure en tout 20 mn.

Quelques mois avant cet épisode, le Hood et le Dunkerque naviguaient ensemble. C'est pourquoi Churchill est conscient de demander à l'amiral Somerville qui commande les Anglais d'accomplir une mission difficile.

Pour le premier ministre anglais, la survie de la Grande-Bretagne passe par la maîtrise des mers ; il ne faut pas risquer que la flotte française passe entre les mains d'Hitler. Londres avait mis en effet comme condition à la signature d'un armistice franco-allemand, que la flotte française se dirige vers les ports britanniques. Le télégramme ne fut pas pris au sérieux par les Français. Les relations entre Français et Anglais se dégradèrent ensuite comme en témoigne le départ de l'ambassadeur anglais pour Londres dans la nuit du 22 au 23 juin. Le dialogue et la compréhension mutuelle s'en ressentaient.

A la lecture de l'armistice, les Anglais comprennent par exemple que la flotte sera sous l'autorité des Allemands puisque les navires devront rejoindre des ports d'attache pour la plupart situés en zone occupée. Pourtant Hitler n'exige que la démilitarisation des navires et ne demande pas le ralliement de la flotte. De surcroît, Darlan donne des garanties aux Anglais en promettant le sabordage de la flotte en cas de changement dattitude des nazis.

En outre, Darlan est alors persuadé que l'Angleterre va connaître un sort semblable à celui de la France. Les Anglais sont eux déçus que la flotte française n'ait pas rejoint l'Angleterre pour poursuivre la guerre. La position de l'Amiral français devient franchement hostile lorsqu'il donne l'ordre aux navires français de rejoindre l'Afrique du Nord et de ne se rallier à aucune puissance étrangère : ni l'Allemagne ni l'Angleterre autrement dit.

C'est dans ce contexte que l'opération Catapult est décidée ; elle ne suscite pas l'adhésion unanime en Angleterre des chefs d'escadre. Les navires français en Angleterre passent sous contrôle anglais par la force ; à Alexandrie un accord de désarmement est trouvé. A Mers El-Kébir, l'affrontement est terrible. Outre le Hood, il y a un croiseur de combat, un porte-avions et deux cuirassés pour combattre côté anglais. L'Amiral Somerville propose quatre solutions aux Français afin d'éviter le pire : "appareiller avec la flotte anglaise ; gagner avec des équipages réduits un port britannique ; se rendre "dans quelques port français des Antilles - à la Martinique par exemple - où ils pourront être démilitarisés à notre satisfaction, ou peut-être confiés aux Etats-Unis d'Amérique, et rester en sécurité jusqu'à la fin de la guerre...", à défaut se saborder." Somerville est même prêt à accepter une démilitarisation sur place. Gensoul qui commande la flotte française dans le secteur interprète le message de Somerville comme un ultimatum et répond qu'il choisit la force en réponse à la force. Sa responsabilité est importance dans la tournure prise par les événements. A ce moment, le gouvernement français choisit d'envoyer des renforts. Les Anglais font feu avant leur arrivée.

Le bilan est lourd en particulier parce que la Bretagne coule avec près de 1000 marins à son bord. "Au total, en y incluant les victimes du deuxième raid mené, le 6 juillet, par la RAF contre le Dunkerque avarié, on dénombra 1297 tués (47 officiers, 196 sous-officiers, 1054 matelots). Le message des Anglais adressé au monde est clair : nous sommes résolus à continuer la guerre.

De Gaulle à la BBC déplore l'épisode mais déclare aussi au sujet des navires bombardés : "Il n'y a pas le moindre doute que, par principe et par nécessité, l'ennemi les aurait un jour employés, soit contre l'Angleterre, soit contre notre propre empire". En France, la presse s'insurge ; Darlan n'est pas suivi dans sa volonté de représailles par le gouvernement. Laval se sert de l'événement pour préparer Montoire.

Evocations
Par Philippe Burrin, historien, dans La France à l'heure allemande 1940-1944, seuil

"Le 25 juin, les armistices entrèrent en vigueur. Quelques jours plus tard, le 3 juillet, le canon tonnait à nouveau : les obus étaient britanniques, ils frappaient la flotte française mouillée à Mers El-Kébir. Plusieurs navires furent envoyés par le fond, d'autres gravement avariés ; près de 1 300 marins français trouvèrent la mort. Les dirigeants anglais s'étaient émus du sort de la flotte dès qu'ils avaient vu la France virer vers une paix séparée. Ils se refusaient à faire crédit aux assurances allemandes et n'inclinaient pas à croire sur parole les responsables français. Darlan en tête, jurant qu'ils ne laisseraient pas tomber leurs navires en mains allemandes. Comment être assuré que ces hommes, dont l'anglophobie perçait, ne céderaient pas à la menace, ou pis, qu'ils ne serviraient pas à la flotte pour acheter la clémence du vainqueur ? (...)
Ce geste choqua une bonne partie de l'opinion française, qui s'en fit une justification supplémentaire pour son souhait de cesser la lutte. Il rendit presque impossible la tâche du général rebelle à Londres."

Par Maurice Agulhon dans La République, Hachette

"(...) épreuve morale pour la France libre, l'épisode représente un surcroît de désarroi pour l'opinion, et peut-être un appoint à la propagande du nouveau gouvernement, dont la nouvelle politique impliquait une bonne dose d'anglophobie".

Qui est l'amiral Darlan ? d'après Philippe Burrin

Les positions idéologiques de l'amiral Darlan, énoncées avant et pendant la guerre, sont symptomatiques des errements des élites françaises : "nous devons avant tout conserver notre empire" déclare-t-il en 1939 et donc laisser l'Allemagne agir à sa guise dans l'Est de l'Europe. Pendant la guerre, Darlan suggère même d'entrer en guerre contre l'Angleterre en Afrique pour que la France préserve son empire. "L'homme est froid, bourru, méfiant, autoritaire, sans rien de charismatique, vaniteux et vulgaire en diable, un goût du luxe qui gêne." Il ne fait rien pour moderniser la marine française alors qu'il faudrait l'équiper de radars ; il ne discerne pas le rôle futur des porte-avions et de la DCA. Darlan est séduit par les succès allemands et aveuglé par son anglophobie. Il ne retourne sa veste qu'à l'automne 1942.

Fin 1940, Darlan occupe de hautes fonctions à Vichy en remplacement de Laval puis devient vice-président du Conseil. Son action revient toujours au même objectif : collaborer pour préserver l'Empire et faire de la flotte la plus puissante du monde. Pour donner des gages à hitler, il accepte de vendre des camions à Rommel et de seconder l'opération d'assistance en Irak. Il rencontre Hitler à Berchtesgaden le 11 mai 1941 et loue le "créateur génial" de l'armée allemande. En échange de la collaboration militaire française en Afrique du Nord et au Proche-Orient, Darlan essaye d'obtenir des garanties territoriales et donc l'allègement de l'occupation. Les négociations piétinent avec l'attaque de l'URSS par l'Allemagne. Darlan, en outre, relaie la politique antisémite de Vichy et permet le recrutement de travailleurs français par les Allemands.

Au moment du débarquement allié en Afrique du Nord, Darlan est à Alger, au chevet de son fils malade. L'amiral se soumet et se rend prisonnier aux Américains auxquels il finit par se rallier, désavoué alors par Pétain. Il se prétend dépositaire de la souveraineté française en Afrique du Nord et signe avec les Américains des accords en 1942. Il est assassiné le 24 décembre 1942 par Bonnier de La Chapelle.

L'assassinat de Darlan par Michel Legris, 11 novembre 1970, Le Monde et Maurice Agulhon, opus cité.

"Les Américains ne s'étaient pas contentés de débarquer en Algérie sans prévenir le chef de la France libre. Ils entendaient y maintenir un régime qui, avec l'amiral Darlan, n'était guère autre chose que la prolongation de Vichy. L'assassinat de l'amiral ne régla pas la question. Les USA voulaient porter à la tête de l'Afrique du Nord le général Giraud."

"Darlan est assassiné par le jeune Bonnier de la Chapelle (patriote gaulliste issu d'un tout petit groupe dont on soupçonne qu'il était inspiré et de loin guidé par une force plus consistante. Laquelle exactement ? on en discute. Service secrets de la France libre ? Coterie du comte de Paris ? Services secrets britanniques ?"