LONDRES

En 1895 parait le livre du poète belge Emile Verhaeren : "Les villes tentaculaires". Les angoisses de cet auteur sont à la mesure du développement urbain du XIXe siècle dans les pays industrialisés. La population urbaine mondiale triple en effet au cours du siècle pour atteindre le chiffre de 260 millions en 1900. Londres grossit de 3,4 millions d'habitants ; elle a l'image auprès des observateurs d'une "Babylone moderne" ; d'une "World City", la plus grosse ville au monde qui passe de 2,4 millions d'habitants en 1851 à 3,8 en 1881 (4,8 pour l'agglomération).

CRYSTAL PALACE PAXTON 1951

SOMMAIRE POUR APPROFONDIR
SOMMAIRE HISTOIRE DU SIÈCLE DERNIER

Au commencement de ce siècle, Londres est cependant la seule ville d'Angleterre à dépasser le seuil de 100 000 habitants. La croissance urbaine est très liée aux activités industrielles : les villes du coton (Manchester ou Merthyr Tydfil au Pays de Galles) par exemple ; de la sidérurgie (Cleveland) ; du chemin de fer (Liverpool). Certaines villes très spécialisées connaissent aussi un développement important : Bath, sur les bords de l'Avon est la ville d'eau à la mode. 
Londres est devenue une mégalopole entre 1851 et 1901. Elle se développe par capillarité, en engloutissant villages et campagnes. En revanche, l'intérieur de la ville décline. La ville combine tous les vices et la police métropolitaine -celle des bobbies, du prénom de leur initiateur en 1829, sir Robert Peel, n'y suffit pas (ils forment un corps d'environ 15 000 hommes).
À l'inverse, elle est une vitrine de la révolution industrielle. L'exposition universelle de 1851 a été visitée par six millions de personnes dans une capitale alors peuplée de 2,3 millions de personnes. La seconde exposition universelle de Londres a lieu en 1862. Le palais, à South Kensington, comportait une nef de 250 mètres de longueur, avec deux transepts d'environ 200 mètres. Il y eut 22 000 exposants, soit 8 000 de plus qu'en 1851 mais moins de visiteurs.
Dans la ville, les omnibus circulent au nombre de 1 200 entre 1865 et 1894. 3 000 fiacres (cabs) parcourent les rues. Le chemin de fer puis le métro (1890) permettent d'aider à circuler dans la ville. Les égouts de la ville sont construits tardivement, entre 1873 et 1895. Londres est aussi la ville des exilés : le roi Louis-Philippe s'y réfugie sous le pseudonyme de Monsieur Smith en 1848 et y meurt en 1850. Jules Vallès, condamné à mort par contumace pour sa participation à la Commune a vécu en exil à Londres. Verlaine, Rimbaud et surtout Hyppolite Taine y séjourneront. Taine apprécie particulièrement les parcs qui sont comme des jardins dans la ville. 

Le West End se développe avec le commerce de qualité. Harrods devient le phare de ce nouveau type de vente. Vers 1868, le magasin change : d'énormes baies vitrées (les premières vitrines), l'éclairage au gaz, la publicité. Deux étages sont aussi ajoutés en 1873 et un escalier électrique en 1891. Harrods achète les magasins alentours. Il doit son succès à de nouvelle pratique de vente : les articles vendus sont étiquetés ; le vendeur s'engage à échanger ou rembourser tout article de son magasin ; le crédit est accepté ainsi que les soldes. En 1883, un incendie ravage le grand magasin. Un accord est conclu avec les magasins du voisinage pour qu'ils vendent des produits Harrods. Les employés s'activent de 7 heures du matin à 8 heures du soir ; tout retard est puni d'une amende d'un penny et demi. Vers 1889, Harrods réduit les horaires de ses employés qui ne travaillent plus que 12 heures par jour et, le jeudi, le magasin ferme à 16 heures. Harrods devint le fournisseur de la famille royale. (L'histoire, n°95, décembre 1986)

Londres est dans les années 1860 la capitale de la prostitution. Les estimations du nombre de prostituées varient entre 8 600 (selon les statistiques de la police) jusqu'à 120 000 selon la presse. Jack l'Éventreur est l'assassin, entre le 31 août et le 9 novembre 1888 d'une demi-douzaine de prostituées : "J'ai décidé de m'occuper des putains et ne cesserai de les éventrer tant qu'on ne m'aura pas agrafé". Les crimes de l'éventreur auraient été commis dans un secteur bien particulier de Londres : sur la rive gauche de la Tamise, moins d'un kilomètre carré de l'East End, entre les Docks, la Tour et Bishopgate : Whitechapel. Les victimes ne sont pas des prostituées de luxes ; seule Mary Kelly est plus jolie : "une Irlandaise massive qu'on aurait crue capable de mettre un cheval KO d'un simple uppercut". Toutes ces femmes ont été égorgées et mutilées (les organes sont méthodiquement déposés autour du corps). Tous les crimes sont commis entre minuit et 5 heures, à l'heure de la nouvelle lune. Le coupable était-il un médecin fou (par exemple le médecin de la reine, sir William Gull) ? Un étranger (étrangers, qui constituent, par exemple, près du tiers de la population de l'arrondissement de Whitechapel en 1901 ; les Irlandais comptent moins que les juifs d'origine polonaise ou russe dans la population de l'East End) ? Un membre des "classes dangereuses" ? Le théorie la plus inattendue est celle qui désigne un membre de la famille royale : le duc de Clarence, fils aîné du prince de Galles, le futur Edouard VII. (L'histoire, n°62, décembre 1983).Whitechapell est aussi le quartier où fut créé l'Armée du salut à la fin du siècle. Jack London, dans "Le peuple de l'abîme", dénonce l'endoctrinement des pauvres.

L'habitat des classes populaires est source de promiscuité et donc de danger : les terraces, petites maisons en briques juxtaposées les unes aux autres, comprennent deux pièces au rez-de-chaussée et deux à l'étage ; les back-to-backs sont constituées de trois pièces sur deux étages ; les masures des slums. Le pub est "l'assommoir" du Londonien et le lieu des querelles. La rue est grouillante de monde et certains quartiers sont animés par des bandes rivales. 

La City, quartier des affaires, est administré par un conseil commun de 200 personnes élues selon un scrutin d'inspiration censitaire (En 1888, une loi crée le Conseil du comté de Londres, élu démocratiquement). Parmi cette cour des échevins est choisi le lord-maire dont la charge dure une année. La City a tendance à se vider de sa population durant le siècle : il y avait plus de 100 000 habitants en 1861, ils sont moins de 20 000 à la fin du siècle. Banquiers et aristocrates préfèrent Mayfair ou Belgravia. La Cité est désertée de ses employés le soir. La City est le quartier des sociétés par actions. La bourse du commerce a été construite entre 1842 et 1844 au coeur de la Cité ainsi que les bureaux de la Lloyds. Les banques sont nombreuses.

Léon Faucher, journaliste, explique en 1843 que la circulation à Londres est naturellement orientée d'est en ouest ou le contraire mais pas du nord vers le sud : "Rien ou presque ne va du nord au midi, ni d'une rive de la Tamise à l'autre ; le courant des hommes, des transports et des affaires roule parallèlement au fleuve, et de l'ouest à l'est. On calcule le nombre de mètres cubes qu'une rivière, en passant sous un pont, débite chaque jour à l'étiage ; si l'on pouvait compter le nombre des personnes qui circulent à pied, à cheval ou en voiture, de l'extrémité de Piccadilly à la banque, en suivant le Strand, Cheapside et Ludgate-Hill, on trouverait probablement près de 50 000 passagers par heure, et plus de 500 000 par jour." 

"Merveilleux fouillis d'agrès, de vergues, de cordages ; chaos de brumes, de fourneaux et de fumées tire-bouchonnées; poésie profonde et compliquée d'une vaste capitale" selon Baudelaire, les Docks sont fréquentés par des clippers, bricks, goélettes, bougres, galiotes et bateaux à vapeur. De nouveaux docks furent aménagés au cours du siècle pour répondre à la demande et à la circulation fluviale de plus en plus forte. Dans les années 1880, il y avait autour de 100 000 dockers à y travailler. C'est un métier offert à tous ceux qui ont été rejetés ailleurs. Il existe un hiérarchie cependant entre bateliers et arrimeurs d'une part et les manutentionnaires. Les premiers pilotent les gabarres et arriment les marchandises. Une partie des travailleurs des docks est constitué d'occasionnels. À la fin de la journée, les dockers sont fouillés pour vérifier qu'ils n'ont pas volé dans les marchandises. Le brouillard londonien peut arrêter l'activité et la pluie le déchargement. Pour fabriquer les docks de Sainte-Catherine, il fallut raser un hospice et 1250 maisons. À la fin du siècle, les docks déclinent lentement. En 1889, une grande grève éclate. Les grévistes obtiennent gain de cause. Le déclin se poursuit cependant (L'histoire, n°131, mars 1990). Autre chose est le débarquement des marins décrit par Jules Vallès : "la Tamise vomit tous les marins avalés à l'autre bout du monde". 

Londres est une ville clairement délimitée entre des quartiers dont les fonctions et les habitants sont différents. En 1851, un Londonien sur vingt cinq appartient à la classe supérieure et les quatre cinquième aux rangs des travailleurs manuels. Flora Tristan, socialiste et utopiste, décrit cet aspect de la ville : "On passe de cette active population de la Cité qui a pour unique mobile le désir du gain à cette aristocratie hautaine, méprisante, qui vient à Londres, deux mois chaque année, pour échapper à son ennui et faire étalage d'un luxe effréné, ou pour y jouir du sentiment de sa grandeur par le spectacle de la misère du peuple !... Dans les lieux où habite le pauvre, on rencontre des masses d'ouvriers maigres, pâles (...)". La misère des villes anglaises a été décrite par des observateurs nombreux : Gustave Doré ou Eugène Buret qui écrit : "La misère anglaise se distingue de celle des autres pays, par son aspect fantastique, par le costume grotesque qu'elle se compose avec les lambeaux de vêtements autrefois portés par les classes aisées, et qu'elle va ramasser dans les boutiques des chiffonniers". Les pauvres s'entassent parfois dans les Workhouses, maisons très strictes, sortes de centres de redressement. "C'est un économiste libéral aussi optimiste que Mac Culloch qui calcule qu'un Londonien sur six meurt au workhouse, à l'hospice, à l'asile ou à la maison de fous" (Bedarida, La société anglaise). Londres est d'un côté une "grande cité infecte, cliquetante, grondante, fumante, puante - affreux amoncellement de briques en fermentation, déversant son poison dans tous les pores".

L'architecture reflète bien évidemment ce constraste. Nous avons évoqué les maisons des pauvres ; la ville s'enrichit aussi de bâtiments institutionnels dans un style néogothique (Tower House de William Burges) ; de Terraces monumentales telles celles de John Nash (Chester Terrace par exemple, 1827, Regent's Park), de maisons de briques dont les façades sont agrémentées de céramiques (Royal Albert Hall, 1867-1871) ; de passages et autres galleries recouvertes de verrières (Covent Gargen, 1828-1831, Charles Fowler). John Nash est d'ailleurs le grand concepteur des aménagement de la ville : "Ce n'est qu'au début du XIXe siècle qu'un plan public de développement, confié à l'architecte John Nash, est destiné à doter le West End des vastes avenues et perspectives qui lui manquaient : Regent Street est percée entre 1817 et 1823, Regent's Park et Saint James Park sont redessinés et bordés de Terraces , immeubles joints à la façade courbe et harmonieuse, Trafalgar Square est commencé en 1830. Quelques bâtiments de prestige portent aussi la marque du pouvoir, dont le British Museum et l'arc de triomphe de Hyde Park Corner. "La fièvre d'urbanisme ne s'accompagne donc pas d'une unité de styles, bien que constructions publiques et même gares s'inspirent d'un goût excessif pour le néo-gothique : en témoignent le nouveau Parlement de Westminster ou la gare de Saint Pancras. Le "palais de cristal » de l'Exposition de 1851, transporté à Sydenham, dans le sud de la capitale, témoigne, jusqu'à sa destruction en 1937, d'une audace mieux inspirée". "L'enfer londonien appelant l'utopie, à la suite de la dénonciation des laideurs de la ville, par John Ruskin ou William Morris notamment, apparaît l'idée des cités-jardins et s'édifie, en 1903, la première "ville nouvelle" au nord de la capitale : Letchworth, construite conformément aux principes d'Ebenezer Howard et de Raymond Unwin".

La saison est l'époque de l'année à Londres où la gentry vient de sa province participer aux réjouissances, entre avril et juillet. Ses membres possèdent une townhouse dans un quartier chic de la ville (Mayfair ou ParkLane). La présentation à la Cour est l'occasion de se montrer, notamment à la reine. La cérémonie se passe au palais de Buckingham ou de Saint James. La soirée est consacrée aux présentations des jeunes filles à marier, aux danses (les valses viennoises sont à la mode). Une partie des événements de la saison se déroulent en public : régates, promenades à Hyde Park. Joseph Conrad s'est fait le chantre de ce Londres des bonnes moeurs : "Entre les barreaux des grilles du parc, ces regards contemplaient des cavaliers et des cavalières en promenade dans Rotten Row : il y avait des couples qui passaient harmonieusement au petit galop, d'autres qui avançaient posément au pas, il y avait des groupes de trois ou quatre cavaliers qui s'attardaient, des cavaliers isolés à l'air insociable et des femmes isolées, suivie à distance par un palefrenier portant cocarde à son chapeau et ceinture de cuir par dessus sa redingote ajustée."... La société est alors pénétrée par les conventions imposées par Victoria

Le recensement de 1851 à Londres permet d'évaluer la répartition des activités de la population active : Londres a 2 362 000 habitants (20 % de plus depuis 1841). Londres a, à cette époque, 47,3 % d'actifs (1 117 921 personnes) dont 63,4 % d'hommes et 36,6 % de femmes. La grande industrie tient une place modeste dans cette structure au profit de de la petite industrie traditionnelle même si 45 % des actifs travaillent dans le secteur secondaire (textile, bâtiment, chaussure, bois...). 44 % des Londoniens qui travaillent sont des artisans et des petits commerçants.

Londres est au XIXe siècle la ville reflet de la révolution industrielle dans le pays où elle a commencée (l'écrivain romantique allemand Heinrich Heine l'a bien écrit : "(en voyant Londres) les secrets les plus cachés de l'ordre social se révèleront à lui soudainement, il entendra et verra distinctement les pulsations vitales du monde(...)" : ville-mégalopole qui grossit sans mesure ("Le guide Badecker de 1890 s'émerveillait devant une extension de 14 miles d'est en ouest, une superficie de 316 kilomètres carrés, un dédale de 7 800 rues formant une longueur totale de plus de 4 800 km ") ; ville-populaire ; ville où s'expriment et s'expérimentent les valeurs puritaines : du West-End à l'East-End. 

Ressources sur le XIXe siècle

À lire : "Londres, 1851, 1901", revue "Autrement".

Voir : cdrom "Universalis"

HARRODS
PROSTITUTION
HABITAT DES PAUVRES
CITY
DOCKS
SOCIÉTÉ
ARCHITECTURE
LA SAISON
ACTIVITÉS