Soldats de la Wehrmacht lors de la campagne en URSS

Alternant les nouvelles du front et de l'arrière, le livre de Kershaw évoque les débuts de la guerre avec le souci du détail. La volonté de maîtriser la chronologie de la mise en place du processus génocidaire nous permet de mieux comprendre la descente aux enfers des juifs. Kershaw insiste sur l'évolution de l'opinion allemande en essayant de distinguer les signes d'une lassitude et d'une baisse de popularité du Führer. Les erreurs stratégiques qui ont conduit l'Allemagne à la défaite militaire sont disséquées. Kershaw cherche en particulier les traces du retournement de la situation en faveur du camps allié et surtout de l'URSS.
Plutôt que de citer des passages où de résumer intégralement l'ouvrage, nous avons essayé de relever, les moments où Kershaw éclaire d'une manière nouvelle les connaissances sur Hitler et la seconde guerre mondiale dans les années 1939-1942.

Attentat
Alors que le 8 novembre 1939, Hitler échappe à un attentat fomenté par un homme seul (une bombe explose quelques instants après que le Führer ait quitté la tribune d'où il prononçait un discours à Munich : la déflagration fait 8 morts et 63 blessés), sa popularité est au zénith et peu de gens ont le courage de s'opposer à sa politique. Au sein de l'armée, il existe pourtant des officiers pour considérer les projets d'Hitler comme hasardeux ou -plus simplement- pour s'inquiéter de sa volonté d'infléchir la stratégie militaire ; mais ils sont rares à le lui dire de vive voix.

Stratégie vers l'Ouest après la Pologne
Les offensives à l'Ouest vont se faire sans véritable stratégie. L'Allemagne manque par exemple de sous-marins pour tenter un blocus du Royaume-Uni ; la moitié des chars sont hors service après la campagne de Pologne. Pendant la drôle de guerre, le front allemand est dégarni de manière inquiétante et dangereuse. La percée dans les Ardennes en mai 1940 est cepandant une réussite. Lors de l'évacuation des forces franco-britanniques à Dunkerque, Hitler tarde à donner l'ordre d'avancer jusqu'à la ville comme s'il voulait épargner les Anglais dans le but de négocier avec eux ensuite. La guerre est faite de ces décisions d'apparence anodines car oubliées dans la tourmente d'événements qui se bousculent mais qui semblent a posteriori mériter l'analyse comme autant de petits tournants finalement décisifs.
L'essentiel est acquis et le Führer peut se taper sur la cuisse de contentement au moment de la signature de l'armistice avec la France dans la forêt de Compiègne ; un tic habituel lorsqu'il éprouve une grande joie. Hitler visite ensuite Paris en vainqueur, une visite culturelle comprenant l'Opéra, la Madeleine, le Panthéon, le Sacré-Coeur.
De retour à Berlin, le Führer est acclamé.
Les négociations avec Franco échouent devant les revendications jugées inacceptables du dictateur espagnol. Le Japon se fait tirer l'oreille pour s'emparer de Singapour ce qui obligerait les Britanniques à s'engager dans le Pacifique ; il signe en outre un pacte de non-agression avec les soviétiques qui n'arrange pas les affaires de l'Allemagne.

La conquête de l'URSS en visée
Hitler songe déjà à un objectif primordial : la conquête de l'URSS pour en finir avec le "judeo-bolchevisme". Des négociations qui ressemblent à un partage en zones d'influences se tiennent néanmoins fin 1940 et début 1941 entre l'Allemagne et l'URSS et des accords économiques sont passés : exportation des matières premières soviétiques vers l'Allemagne contre des biens d'équipement allemands. Cette dépendance inquiète le Führer. La dimension idéologique du conflit qui s'annonce est évidente : "la campagne ne préparation n'est pas qu'un simple conflit armé ; elle conduira aussi à l'affrontement de deux idéologies" déclare un des dirigeants nazis. Auparavant, Hitler doit s'attaquer à la Grèce maladroitement envahie par Mussolini et la Yougoslavie, seul Etat des Balkans qui échappe encore à la tutelle nazie et au pacte tripartite. Hitler ne se réjouit pas de devoir affronter la Grèce et donne l'ordre de ne pas bombarder Athènes.
Alors que les Anglais, grâce à leur système de décryptage baptisé "Ultra", savent qu'une attaque contre l'URSS est imminente en 1941, Staline reste sourd aux avertissements qui lui parviennent dès le mois d'avril.

Hess
C'est dans ce contexte qu'intervient l'étrange voyage de Rudolf Hess, compagnon d'Hitler de longue date. Hess prend l'avion pour l'Angleterre porteur d'un message personnel pour proposer la paix avec les Anglais. Hitler le fait passer pour fou ; il est très affecté par ce geste illogique. Une blague circule d'ailleurs en Angleterre au sujet de Hess :
"Churchill fait venir Hess et lui demande :
- alors le cinglé, c'est vous !
et Hess de répondre :
- Oh non, non, je ne suis que son adjoint"

Barbarossa
Dans le dessein de la conquête de l'URSS, les Einsatzgruppen sont fondés pour mener à bien l'opération de ""nettoyage" qui doit accompagner la campagne de Russie. Ces groupes mobiles recrutent dans des catégories cultivées de la population allemande et seront épaulés dans leur tâche criminelle par des bataillons de police supplétifs. Ces hommes sont chargés d'exécuter les recommandations d'Hitler pour la campagne de Russie : une guerre idéologique dont le but est d'éradiquer le "communisme" ; de tuer juifs et communistes sans pitié. Cette vision de la guerre n'est pas unanimement partagée dans la Wehrmacht ; Hitler la légitime d'autant plus quand Staline proclame de son côté "sa guerre de partisans".
Pour Hitler, "les slaves étaient une famille de lapins qui ne dépasseraient jamais le stade de l'association familiale s'ils n'étaient contraints par un élan dirigeant" ce qui le conduit à admirer Staline. De surcroît, le Führer veut profiter de l'invasion de la Russie pour piller ces richesses et exploiter les forces motrices afin de construire une société de bien-être dans le Reich pour "la race des seigneurs".
Longtemps repoussé, le plan "Barbarossa" débute le 22 juin le même jour que l'invasion par Napoléon de la Russie tsariste. Hitler est hanté par le dictateur français et son échec qu'il ne veut à aucun prix reproduire. C'est pourquoi il refuse obstinément de laisser les hommes épuisés battre en retraite lorsque l'hiver survient. 3 millions d'hommes dans chaque camp sont engagés dans cet affrontement.
Hitler rejoint alors la "tannière du loup" en Prusse orientale pour suivre les opérations militaires. L'endroit est infesté de moucherons. Ces apparitions en Allemagne se font de plus en plus rares au grand dam de Goebbels qui sent l'opinion chanceler et de plus en plus agacée par les mesures prises contre l'Eglise et contre les malades mentaux (c'est au mois d'octobre 1939 que fut décidé d'euthanasier les malades mentaux. Des films de propagande furent alors diffusés pour appuyer la démarche. Le bilan en août 1941 s'élève à 90 000 victimes). Hitler doit revenir en arrière et geler les décisions.

Pour Hitler et ce point sera essentiel, prendre Moscou n'est pas une priorité. Les raids sur la capitale sont peu efficaces du fait du faible nombre d'avions engagés car beaucoup sont immobilisés. La grande majorité de l'état-major allemand pense le contraire dont Guderian.
Puisque les Allemands sont encore en URSS alors qu'approche l'hiver, on peut dire que le plan Barbarossa a échoué. Même si des mesures sont prises pour équiper les troupes de vêtements d'hiver ; les conditions de vie des soldats se dégradent fortement. A ce moment, des doutes commencent à percer jusque dans l'entourage d'Hitler. Le Führer parle d'un cauchemard et le ministre Todt se risque même à dire que la guerre ne peut être gagnée militairement mais politiquement c'est-à-dire par la négociation.
Les Allemands ont gravement sous-estimé le potentiel militaire soviétique. La Wehrmacht est pourtant à 20 km de Moscou lorsque le 2 décembre la contre-offensive de l'armée rouge commence. 5 jours après, dans le Pacifique, l'opération japonaise à Pearl Harbor provoque l'entrée en guerre des Etats-Unis. Les Allemands déclarent la guerre aux Américains. Les généraux d'Hitler sur le front soviétique sont limogés les uns après les autres en raison de leur "défaitisme" (réalisme ?).

Le sort des Juifs se précise
Les Gauleiters en Pologne commencèrent à déporter des juifs dès 1940. Dans les hautes sphères du parti nazi, on songeait alors à une déportation vers Madagascar. C'est à cette occasion qu'est employée par Heydrich l'expression "solution finale". Les phrases d'Hitler datant de cette période font référence au projet malgache : "Après la guerre, nous en aurons fini avec les juifs" se comprend en effet comme le succès de ce plan. Le projet d'empoisonner les juifs du ghetto de Varsovie est également envisagé. Devant les difficultés pratiques pour mettre en oeuvre la déportation des Juifs de Vienne, les nazis pensent de plus en plus sérieusement à une déportation vers les régions infertiles de la Russie orientale.
Au cours de l'année 1941, la logorrhée antisémite d'Hitler reprend de la vigueur. Kershaw lie très clairement la mise en oeuvre d'un plan de destruction massive des juifs aux difficultés des troupes allemandes sur le front de l'Est. Cela commence par l'obligation du port de l'étoile jaune en Allemagne. Lorsque Staline ordonne de son côté la déportation de près d'un million d'Allemands de la Volga, Hitler autorise en représaille -non sans hésiter- la déportation des Juifs. Mais de la déportation à l'extermination, il y a un pas. Kershaw démontre en fait qu'il n'existe aucun ordre écrit d'Hitler pour entreprendre l'extermination des Juifs mais que ce sujet a certainement été évoqué lors des conversations entre Himmler et Hitler à la Tannière des loups. Au contraire d'Himmler qui, a Posen à la fin de la guerre, évoque "une page glorieuse de notre histoire qui n'a jamais été écrite et ne doit jamais l'être", Hitler ne fera jamais référence explicitement à la solution finale.
"Au cours de l'automne -écrit-Kershaw-, probablement en décembre, plusieurs centaines de prisonniers de guerre russes furent gazés dans le camp d'Auschwitz alors essentiellement destiné aux Polonais, dans le cadre d'une expérience associée au grand crematorium commandé en octobre à une société d'Erfurt, JA Topf et Fils. Le Ziklon B fut donc employé pour la première fois sur des prisonniers soviétiques...". La technique du gazage avait déjà été employée lors du programme d'euthanasie.
La célèbre conférence au bord du Wannsee qui s'ouvre le 20 janvier 1942 et où Eichmann se charge d'écrire les minutes ne fait pas référence à l'extermination des Juifs. Pourtant, fin 1942, selon les calculs même des SS, quatre millions de Juifs sont déjà morts.





IAN KERSHAW, HITLER 1936-1945, FLAMMARION